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Beauté, Manucure, cultures féminines et féminisme

Photo du rédacteur: So., de So SoinsSo., de So Soins


De nombreux médias s’adressent explicitement aux femmes. Ils ouvrent des espaces de réflexion autour de la féminité et des rapports entre les sexes.

Les médias interpellant spécifiquement les femmes – au double sens où elles en sont la cible principale et où ils sont vecteurs de normes liées à la « féminité » – sont pourtant plus vivants que jamais, bénéficiant des possibilités techniques offertes par le numérique et en particulier le web participatif.

Cette reprise des propos de Delphine Chedaleux, publiés le 30 juin 2020, propose d’analyser sous un angle féministe quelques-unes des caractéristiques de la « culture populaire féminine », un terme qui regroupe les genres, formes, phénomènes, pratiques et supports culturels et médiatiques qui sont associés aux femmes et au féminin – ces deux termes sont ici envisagés comme des catégories sociales et discursives façonnées par les rapports de genre, mais aussi de classe, et de sexualité. S’ils ont jusqu’ici suscité relativement peu de travaux au sein des universités françaises, il existe en revanche dans les universités anglo-américaines un très riche champ de recherche autour de ces objets et pratiques, né dans le sillage des Cultural Studies (une école de pensée apparue en Grande-Bretagne au milieu des années 1960 et tournée vers l’étude des cultures et des modes de vie populaires, les principaux chercheurs de cette école de Burningham sont : Richard Hoggart (qui fonde l’école en 1964) ; Stuart Hall qui a écrit Encoding and decoding in the television discourse, en 1973 ; et plus récemment Henry Jenkins qui a publié La Culture de la Convergence. Des Médias au Transmedia, en 2013) ainsi que des mouvements féministes des années 1970.



La culture de la mode et de la beauté représente une autre facette de la culture populaire féminine ; elle s’est démocratisée au XXe siècle avec l’appui des magazines féminins et n’a cessé d’adapter ses messages au gré des changements sociaux et des reconfigurations des rapports de genre. Pour la sociologue Angela McRobbie, les industries de la mode et de la beauté ou « complexe mode-beauté » du début du XXIe siècle s’approprient par exemple les théories féministes et queer, qui désignent la binarité de genre comme un construit culturel et social et mettent au jour le caractère performatif des identités. Comprenant le potentiel d’adhésion de ces théories – et donc le danger qu’elles représentent pour le patriarcat comme pour le capitalisme –, le complexe mode-beauté s’emploie à les « neutraliser » en intégrant et en dénaturant certains de leurs paramètres. Les femmes sont ainsi incitées à endosser une hyperféminité dont l’artificialité désormais revendiquée devient synonyme de choix et d’empowerment : elles sont encouragées à exercer leur pouvoir d’agir non pas en adhérant à des idéaux féministes montrés comme caducs (c’est le sens du mythe postféministe consistant à dire que « l’égalité est acquise »), mais en embrassant de leur plein gré et avec enthousiasme les atours d’une féminité consumériste qui devient le signe d’une libération d’autant plus joyeuse qu’elle est déconnectée du combat politique. Les émissions télévisées de relooking analysées par Nelly Quemener illustrent ce rapport paradoxal du complexe mode-beauté au féminisme et à la féminité. Les émissions télévisées de relooking reprennent en effet la rhétorique féministe de l’empowerment en promouvant une féminité « autonome, libérée, et à l’aise dans son corps », tout en enjoignant les candidates de respecter des normes strictes, quoique non dénuées de contradictions (il faut par exemple réussir à être à la fois sexy et chic). Ces émissions participent ainsi d’une forme d’essentialisation de la féminité (une nature profonde que le relooking permettrait de « révéler ») tout en mettant en avant le « travail » et les artifices requis par celle-ci. On pourrait observer, dans la continuité de ces remarques, que la rapidité et la facilité avec laquelle le capitalisme a absorbé le renouveau féministe des années 2010, participe du même processus de « neutralisation » de son pouvoir transformateur.

L’analyse des blogs et autres vlogs (vidéoblogs) « féminins » permet d’envisager la culture de la mode et de la beauté à partir d’un autre point de vue. Écrits par des « amatrices » qui s’adressent à d’autres femmes, ils reprennent les grands thèmes des industries culturelles.


Finement observés par Michele White, les blogs de nail art apparaissent ainsi comme des espaces traversés par des conflits de définition de la féminité.

Le nail art est régulièrement distingué des autres pratiques corporelles liées à la culture de la beauté, car il ne constitue pas un outil de séduction au même titre que le maquillage ou la coiffure, plus susceptibles d’être scrutés et évalués par les hommes. Du même coup, il peut être investi comme une pratique relativement déconnectée du regard masculin et de la féminité respectable : alors qu’un maquillage excessif ou trop extravagant fait courir un risque de stigmatisation,

Le nail art autorise davantage d’audace et les ongles sont investis comme de « minuscules toiles » sur lesquelles les femmes sont encouragées à exprimer leur créativité.


Ces blogs n’en sont pas moins le signe de l’extension de l’injonction au contrôle du corps féminin : celui-ci se doit en effet d’être lisse, net et beau littéralement jusqu’au bout des ongles. La pratique est par ailleurs structurée par des hiérarchies symboliques reposant sur une articulation des normes de genre et de classe, certaines couleurs et/ou façons d’appliquer le vernis étant considérées comme « vulgaires », d’autres au contraire comme « élégantes ».

Ces quelques exemples montrent que la culture populaire féminine construit et diffuse une féminité « hégémonique », un terme définit par la sociologue australienne Raewyn Connell. Parler de féminité hégémonique permet d’analyser la construction sociale et discursive d’une féminité culturellement valorisée qu’on pourrait identifier, dans les sociétés occidentales contemporaines, comme hétérosexuelle, mince et belle, professionnellement aguerrie sans être agressive, sexuellement émancipée, mais ayant vocation à devenir une mère de famille épanouie.


La construction culturelle et médiatique de la féminité hégémonique est toutefois travaillée par des tensions : non seulement elle se reconfigure sans cesse pour s’adapter aux nouveaux discours de légitimation du patriarcat, mais elle engendre aussi des significations et des appropriations locales et socialement situées. Les sociabilités générées par les cultures féminines peuvent de surcroît s’apparenter à des espaces de délibération de la féminité et des rapports de genre, mais aussi à des lieux de solidarité et de valorisation. Pour la sociologue Beverly Skeggs, les sociabilités créées par les femmes des classes populaires britanniques autour de la téléréalité peuvent même être envisagées comme des espaces où s’élaborent des pratiques « alternatives » de la valeur : en dédiant leur temps libre au simple plaisir d’être ensemble et de bavarder autour d’une émission télévisée, ces femmes privilégient la gratuité du lien social à la recherche du gain, prérogative des classes moyennes qui perçoivent la téléréalité comme une perte de temps et utilisent leurs loisirs et leurs relations sociales pour cultiver ou accroître leurs capitaux culturels, symboliques et sociaux.




Source :

La vie des idées « Cultures féminines et féminisme »

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